Basé sur la comédie musicale à succès de 2016, The Prom, le film est arrivé sur nos écrans ce 11 décembre 2020. Avec Ryan Murphy aux commandes, et un casting de véritables stars pour accompagner une nouvelle venue, Jade se demande que vaut cette adaptation.
Il y a quelques années de ça, une comédie musicale créée par Jack Viertel, Matthew Sklar et Chad Beguelin, se fraie un chemin à Broadway. The Prom conte l’histoire d’Emma, une adolescente américaine, à qui l’on interdit d’assister à son bal de promo avec sa petite amie. Les critiques sont élogieuses au possible allant jusqu’à dire que le show « redonne foi en la comédie musicale » (Jesse Green, New York Times). Ce dernier fera aussi l’évènement en 2018 à l’iconique parade annuelle de Thanksgiving de Macy’s (chaîne de magasins américaine), regardée en masse et durant laquelle plusieurs numéros de comédies musicales sont performés, lorsque les actrices principales de The Prom, Caitlin Kinnunen et Isabelle McCalla, s’embrassent à la fin de leur numéro et marquent ainsi le premier baiser entre personnes du même sexe de toute l’histoire du cortège. Dans la foulée, le spectacle est nommé à plusieurs cérémonies, dont les Tony Awards, et sa popularité est exponentielle. Et bien évidemment, lorsque quelque chose fonctionne ailleurs qu’au cinéma ou à la télévision, il y a toujours une personne titillée par le désir de l’adapter à l’écran. Cette fois-ci, c’est à Ryan Murphy, celui derrière Glee, American Horror Story, ou plus récemment les séries Ratched ou Hollywood sur Netflix, que l’envie prendra.
Avant toutes choses, il faut dire que je n’ai jamais vu la comédie musicale dans son entièreté sur Broadway. Les numéros musicaux, des interviews, et quelques avis de personnes concernées, qui aiment Broadway ou non, c’est toute l’étendue de ma connaissance de The Prom. Ceci dit, tout ce que j’avais entendu sur le show m’avait beaucoup donné envie de le voir un jour. Alors, quelle ne fut pas ma surprise et ma joie quand j’ai appris qu’il allait être adapté en un format plus accessible. Joie immédiatement suivie d’amertume lorsque j’ai vu le nom de Murphy rattaché au projet. Chacun-e est libre d’avoir son avis sur son travail, mais personnellement je n’en suis pas particulièrement cliente, surtout de son traitement des personnages féminins, qui plus est lesbiennes. Puis mes craintes ne faisaient que grandir au fur et à mesure de la campagne de pub qui ne mettait en avant que les grands noms du casting (Meryl Streep, Nicole Kidman, James Corden…), et tronquait les deux protagonistes, Emma et Alyssa, jusqu’à les retirer de certaines affiches, à tel point que beaucoup de personnes (même certaines personnes de l’équipe de Bande De Films) ne savaient même pas que le film racontait l’histoire de ces deux adolescentes lesbiennes. Mais l’histoire me parle, me touche, m’intrigue, et qui suis-je pour refuser une bonne dose de chant, de danse, de paillettes et de bons sentiments ?
The Prom s’ouvre sur Mrs. Greene (Kerry Washington), la présidente de l’association des parents d’élèves, qui annule le bal de promo suite à la requête d’Emma, interprétée par la petite nouvelle Jo Ellen Pellman, d’y inviter sa petite amie. Immédiatement on enchaîne sur Broadway, où l’on retrouve Dee Dee (Meryl Streep) et Barry (James Corden) performant le premier numéro musical du film, les dépeignant comme des célébrités narcissiques qui ne vivent que pour l’approbation des autres. On les voit alors plus affecté-e-s par les dernières critiques négatives de leurs rôles que par la nouvelle d’une décision lesbophobe infligée à deux adolescentes, qu’ils et elles ne voient que comme une opportunité de faire l’évènement et redorer leur blason (« Nous allons aider cette petite lesbienne, qu’elle le veuille ou non. » chante Barry). C’est un excellent concept. Des stars privilégiées et opportunistes confrontées à l’idée de descendre de leurs grands chevaux et forcées de réajuster leurs visions du monde à la réalité à laquelle ils et elles pensent être supérieur-e-s grâce à l’histoire d’amour de deux filles ? J’achète immédiatement. Malheureusement, même si accompagné de Chad Beguelin et Bob Martin pour le travail d’adaptation, Murphy reste le réalisateur et le producteur du film, et il n’arrive pas à exécuter ce pitch.
Dans la forme, oui, c’est beau, c’est clinquant, ça brille de partout et les numéros sont entraînants. On a envie de danser, on est même un peu joyeux-ses l’espace de quelques heures, même si le rythme est un poil inégal. Tout le monde est bien lisse, tout le monde est bien beau, et chaque cadrage et mouvement de caméra est très générique. Rien ne dépasse. Puis les moments avec Emma et Alyssa sont les plus attachants, grâce à Jo Ellen Pellman et Ariana DeBose, les deux actrices respectives, qui ressortent clairement du lot tant elles sont talentueuses, même si les scènes incroyablement minimes dans une histoire reposant sur leurs épaules. Et c’est bien ça le problème. Parce que toutes les paillettes et les chansons du monde ne pourront rattraper le fait que tout a un arrière-goût âpre d’invisibilisation.
Ce qui fait que dans le fond, tout semble tomber complètement à côté de la plaque. Les stars de Broadway campées par Meryl Streep, Nicole Kidman, Andrew Rannells et James Corden, sont incroyablement à côté de la plaque. Elles ne résonnent ni comme la caricature voulue, et exploitée dans l’original, ni comme de vrais personnages avec de vraies intentions. Elles ne semblent être que des blagues qui tombent à plat. D’autant plus Barry, un homme gay, dont l’interprétation par James Corden, un acteur hétéro, relèverait presque de l’insulte homophobe tellement sa performance est grotesque. Ceci dit, j’étais prête à ignorer tout cela, puisque la principale raison pour laquelle le film m’intéressait était ses deux protagonistes. Je voulais vraiment aimer ce film. C’est une intrigue qui résonne énormément en moi, et qui, au-delà de cette petite attache égocentrique, est importante à raconter à un large public. Et je ne vais pas mentir en disant que je n’ai pas été du tout touchée par Emma et Alyssa. Evidemment, comme je le disais plus haut, qui suis-je pour refuser un lot de bons sentiments. Et je pense à toutes les adolescentes, et à la moi plus jeune, pour qui voir deux lycéennes amoureuses et heureuses l’une avec l’autre est si important. Je pense à toutes celles pour qui voir le récit d’un coming-out raconté à travers les yeux de deux filles, dont l’une est racisée en plus de cela, est si nécessaire. Je ne pourrais jamais enlever cela à The Prom, d’autant plus qu’Emma et Alyssa ont une belle alchimie et sont les personnages les plus réalistes et touchants. Mais je ne saurais dire si c’est grâce à la qualité d’écriture du film, ou à cause d’un manque total de personnages lesbiens et de leurs histoires qui fait que je m’accroche comme un-e alpiniste à bout de force à chaque seconde de représentation que la télévision et le cinéma daigne m’offrir. Et si la campagne marketing Netflix et ce que l’on sait des précédentes productions de Ryan Murphy ne nous avaient pas déjà mis la puce à l’oreille sur l’opportunisme du film, ce dernier ne fait que confirmer cette impression. Puisque, les deux adolescentes Emma et Alyssa, autour de qui tourne toute l’intrigue je tiens à le rappeler, ont moins de temps à l’écran que toutes les tenues de Corden et Streep. Preuve en est, le personnage de Barry est si omniprésent qu’à un certain point on en oublierait presque que le but est qu’Emma et Alyssa aillent à leur bal de promo, et non pas que lui y assiste. Aussi, si l’on s’y intéresse un peu plus en profondeur, on se rend compte qu’une partie essentielle du numéro « You Happened », présente dans la comédie musicale, et nécessaire aux développements de la relation des protagonistes, a été retirée du film. Et même si cette année Netflix a laissé une place de choix à Alice Wu et son magnifique The Half Of It (Si tu savais… en version française), film beaucoup plus sensible réalisé par une personne qui, elle, apprécie sa protagoniste lesbienne, ça n’est pas suffisant pour adoucir l’amère impression qu’il reste énormément de relents de mépris envers les histoires de personnages féminins queer.
Je ne peux que regretter ce que The Prom, le film, aurait pu être. Malgré les points positifs, malgré l’arc narratif d’Emma et Alyssa qui, à défaut d’être autre chose qu’une excuse pour mettre en avant les favori-te-s d’un certain réalisateur, reste attachante et aura tirée quelques larmes de moi, je n’arrive pas à m’enlever ce sentiment que si quelqu’un d’autre avait été aux commandes, si les protagonistes avait eu plus d’importance et d’attention, tout aurait été tellement mieux.
En tout cas, s’il ne faut retenir que trois choses de The Prom, le film, c’est bien Jo Ellen Pellman, qui aura certainement une carrière aussi fructueuse qu’ont pu être celles d’autres actrices et acteurs de telles productions, l’envie qu’il donnera à certain-e-s de s’intéresser à la comédie musicale originale, et le fait que beaucoup plus de jeunes filles lesbiennes et queer ont maintenant connaissance de cette histoire qui aura, j’en suis sûre, un grand impact sur elles.
The Prom, réalisé par Ryan Murphy. Avec Jo Ellen Pellman, Ariana DeBone, Meryl Streep, Nicole Kidman, Andrew Rannels, Keegan-Michael Key. Durée de 2h12.