À l’occasion de la sortie de The Craft : les nouvelles sorcières au cinéma la semaine dernière, Victor s’interroge sur la nécessité de ressusciter un film pour étudier ses qualités et ses défauts.
Ce n’est un secret pour personne, Hollywood aime capitaliser sur la nostalgie. Pas de surprise. L’exemple le plus évident étant le retour de la franchise Star Wars, relancée en 2015 par Le Réveil de la force de J.J Abrams. Et cela ne se limite guère aux tentpoles dominants comme La Guerre des étoiles, le cinéma d’horreur a vu bon nombre de ses succès passés ressurgir sur les écrans. La poupée Chucky, Blair Witch ou Suspiria, ne sont que quelques exemples de films cultes modernisés à l’ère 2010. Et le film Dangereuse Alliance (The Craft, en version originale) d’Andrew Fleming ne déroge pas à cette règle. Dans un croisement entre l’exercice du remake et celui de créer une continuité au film original, refaire The Craft en 2020 est un projet aux multiples qualités mais qui a aussi ses limites.
The Craft, qu’est-ce que c’est ?
Sorti en 1996, The Craft raconte l’histoire de quatre adolescentes qui vont se lier par leur intérêt pour la sorcellerie. Leurs nouveaux pouvoirs vont leur permettre de régler leurs comptes et les maux qui les préoccupent. Mais petit à petit, ces dons deviennent de plus en plus dangereux à manier quitte à en défaire la sororité qui s’était créée. Réalisé par Andrew Fleming (à qui l’on doit aussi Dick : Les Coulisses de la présidence et Espion mais pas trop !), le film a engrangé près de 25 millions de dollars aux États-Unis et a permis de révéler notamment Neve Campbell (Sidney Prescott dans Scream) et Robin Tunney (Lisbon dans la série The Mentalist)
Ayant acquis une nouvelle reconnaissance auprès des adolescent.e.s par l’intermédiaire des réseaux sociaux, le film s’est vu attribué une reconnaissance pour une certaine esthétique camp (traduction : juste en raison d’un seul plan repris partout, où l’on voit les quatre filles assises au fond d’un bus grimées avec un look mi-Wicca/mi-Gothique), et un supposé progressisme. Pourtant, quelle ne fût pas la surprise lors du visionnage que de constater que rien de tout cela n’est vrai ! Ce qui aurait pu être un teen-movie fantastique fondateur n’est au final qu’une série B des plus problématiques. Baignant alors dans une mise-en-scène des plus classiques, où les seuls sursauts de réalisation proviennent de flashs prémonitoires dignes d’un épisode de Charmed avant l’heure (mais cela, on y reviendra), le film se voit victime d’un mauvais sort : le conservatisme.
Alors que la première partie du film montrait la nécessité des pouvoirs comme un élément symbolisant la défense des quatre adolescentes face à des éléments hostiles (le racisme et le sexisme), l’écriture de Flemming et Peter Filardi va prendre les torches et crier au bûcher ! lors de sa seconde. Suite à la mort d’un élément perturbateur (Skeet Ulrich, qui ennuyait déjà son monde dans un lycée où était Neve Campbell bien avant Scream), la sororité se voit alors dissoute. Pire, les pouvoirs sont instantanément montrés comme fondamentalement maléfiques chez les personnages qui en ont alors fait usage, d’abord par vengeance puis par complaisance.
Affirmant une impossibilité à créer l’union pour se sentir plus forte, The Craft paraît profondément réactionnaire dans son obstination à transformer en échec les luttes intersectionnelles, au profit d’un banal film d’horreur qui ne parvient guère à faire de l’effet.
C’est alors qu’intervient The Craft : Les Nouvelles Sorcières (ou The Craft : Legacy en version originale), tenant plus de l’ordre du remake que de suite. Car, soyons honnêtes une seconde, ce n’est pas le raccourci artificiel entre les deux films qui élèvera ce film au rang de suite. Ce nouveau projet, réalisé par Zoe Lister-Jones et produit par Jason Blum, a clairement l’ambition de dépoussiérer le ton vieillot du précèdent opus en se réappropriant son histoire.
La sorcellerie 2.0
On prend les mêmes et on recommence ? Pas tout à fait. Si le film flirte au départ vers un sentiment de nostalgie, en reprenant le même plan titre dans les airs pour ensuite nous mettre du Alanis Morissette (désolé, mais Lady Bird l’a déjà fait il y a deux ans), il balaie (quasiment) les souvenirs du premier film en un claquement de doigts.
Ici, on suit Lily, une adolescente dont la vie se voit bousculée par un déménagement précipité chez le petit-ami de sa mère (couple incarné par David Duchovny et Michelle Monaghan). Vivant dorénavant dans un environnement effrayant (le futur beau-papa dirige de manière patriarcale une véritable fratrie), sa vie au lycée commence par du harcèlement pour ensuite se diriger vers la rencontre de trois adolescentes adeptes de la sorcellerie qui voit en Lily leur quatrième membre.
Nous sommes quasiment au même point de départ que l’original. Pourtant, le temps passe et évolue. De la volonté de Jason Blum à faire des productions de genre politiques, The Craft : Legacy n’échappe pas à la règle. Si l’on pouvait le synthétiser grossièrement, on peut dire que la sorcellerie est passé à l’ère woke.
Alors dans une optique réjouissante d’inclusivité (avec une héroïne afro-américaine et une héroïne transgenre), la nouvelle bande de sorcières incarne définitivement les personnes marginalisées de l’Amérique d’aujourd’hui. Non seulement, elles s’opposent à l’environnement toxique des frat boys (les membres d’une fraternité) mais elles vont aussi éduquer ceux qui se comportent de manière néfaste grâce à leurs pouvoirs. Dit comme ça, l’ensemble peut paraître forcé de la part d’une production Blumhouse (qui peut parfois s’avérer opportuniste) mais cette suite refuse de se conforter dans la simplicité d’un règlement de comptes entre personnes discriminées et privilégiées (ici, les hommes blancs cisgenres). Son élément scénaristique le plus intéressant concerne le personnage de Timmy Andrews (joué par Nicholas Galitzine), un protagoniste que l’on voit au départ comme un ersatz de celui joué par Skeet Ulrich dans le premier film c’est-à-dire un lycéen masculiniste complètement douchebag. Une fois victime d’un sort de la sororité l’incitant à devenir un homme meilleur, il devient subitement le garçon du lycée le plus sensible aux problématiques intersectionnelles. Ce qui, au départ, provoque le rire et une tension certaine puisque ses soudaines tirades et son acharnement à défendre des artistes telles que Princess Nokia peuvent paraître suspectes pour la suite de l’intrigue du film, comme si le personnage optait pour une mentalité de nice guy (paraître gentil par opportunisme). C’est alors qu’intervient une scène où la vérité dépasse le sortilège des héroïnes. S’amusant lors d’un jeu équivalent à Action ou Vérité, Timmy fait son coming-out et révèle sa bisexualité aux héroïnes qui prennent instantanément sa confession avec compassion et amitié. Ce retournement de situation confirme alors la volonté de cette suite de The Craft : réparer les torts du premier film et ressouder les liens entre ceux et celles qui vivent tapis sous l’ombre des standards de l’Amérique.
En plus de prendre une tournure résolument différente, le film se démarque par un ton beaucoup plus optimiste. Aidé par la bonne humeur permanentes de ses comédiennes, il s’accompagne donc d’un humour rassembleur et communicatif. Imaginez-le, en raison de sa bande-originale clinquante et des vannes de ses héroïnes, comme une version PG-13 d’Assassination Nation avec les effets spéciaux d’un épisode de Charmed. Ce qui peut avoir ses limites, en termes de redondances et d’effets véritablement datés, mais qui offre tout de même un divertissement honnête et efficace dans sa démarche.
The Craft : Legacy confirme ainsi que le remake (ou une suite lointaine, si on préfère dans ce cas précis) peut avoir des biens réparateurs à une oeuvre infestée de défauts sans pour autant vouloir les effacer complètement de nos esprits. Il permet à un film d’apprendre de ses erreurs pour aller de l’avant.
The Craft : Legacy, réalisé par Zoe Lister-Jones, avec Cailee Spaeny, Gideon Adlon, Lovie Simone, Zoey Luna, David Duchovny, Michelle Monaghan… Durée : 1h35