2018 fût l’année où la musique pop s’invita dans les salles obscures. La figure de Freddie Mercury revena dans un film controversé et une nouvelle variation de A Star is Born sorta avec Lady Gaga et Bradley Cooper en super-stars de la contry pop. Derrière ces succès populaires se cache un objet ténébreux, mal-aimable, détruisant l’industrie musicale pour mieux l’embrasser. Il est réalisé par un rejeton du cinéma européen d’Haneke et Assayas, est mené par Natalie Portman et des morceaux originaux de Sia et Scott Walker et s’intitule Vox Lux.
Sur le papier, Vox Lux s’inscrivait automatiquement dans la catégorie de ces drames sur la célébrité. Sorte de Portrait d’une enfant déchue au 21ème siècle avec l’ascension et les chutes de Celeste ; une diva de la pop incarnée par Natalie Portman. Avec Sia comme compositrice des nombreuses chansons du film, il y avait de quoi s’attendre à un joli succès dans le cinéma dramatique. Sauf que…
Le film est réalisé par Brady Corbet. Si ce nom ne vous revient pas, dîtes vous qu’il fait parti du duo bourreau de Nicolas Kidman et Tim Roth dans le remake américain de Funny Games et qu’on le connaît aussi pour avoir joué une victime traumatisé d’un crime sexuel dans Mysterioux Skin. On l’a ensuite aperçu chez Olivier Assayas et Ruben Ostlund avant qu’il se lance dans une première réalisation, The Childhood of a Leader, qui imaginait l’enfance d’un dictateur fasciste. Des prises de risques artistiques d’une violence rare auquel n’échappera aucunement Vox Lux. Intransigeant dès le début, on sent que Vox Lux ne ressemblera à aucun autre film que l’on a pu voir auparavant.
Il s’ouvre, tout d’abord, tel une fable. Les cordes ténébreuses de la composition de Scott Walker résonnent, à l’unisson avec la voix d’un narrateur. Interprété par Willem Dafoe, qui déclare avec une posture narquoise que le succès de Céleste émergea en 2000 à la chute d’un nouveau millénaire. Passé cette introduction, le film affirme d’emblée qu’il n’a peur de rien. Le film s’ouvre sur la jeunesse interrompue de Céleste (alors incarné par Raffey Cassidy, vue chez Brad Bird et Yorgos Lanthimos). Interrompue car elle va être victime d’un massacre en mass-shooting commis par un camarade de classe. Sa convalescence sera l’occasion pour elle d’interpréter une chanson en hommage à ses camarades victimes lors d’un mémorial. Une chanson qui va faire d’elle une star et qui va lui faire rencontrer la gloire et les failles de la célébrité. Mais le film n’a nullement l’attention de s’arrêter sur cette simple démarche. Il va bien plus loin.
Vox Lux va alors se présenter comme un cycle éternel. Une continuité infinie où notre rapport à la célébrité et les produits culturels finissent par produire non seulement une accoutumance à la violence qui se déroule dans le monde entier mais aussi une influence dans de tels horreurs. Ce qui se confirmera dans la deuxième partie, s’ouvrant sur une attaque dans une plage en Croatie par des terroristes masqués comme l’un des clips de Celeste. Il ne s’agit pas pour Corbet de présenter la pop-culture comme source destructrice propageant le chaos partout où elle passe mais, avec une mal-amabilité déconcertante, d’observer comme de tels évènements peuvent se superposer par leurs effets. Il donne une dimension d’ultra-contemporanéité à l’histoire qu’il raconte, confrontant ainsi le spectateur dans son rapport avec le spectacle. Et Corbet n’y fera aucun cadeau.
Le cinéaste explore cela en y apportant une dimension esthétique proche de l’Opéra. Son ultime acte de bravoure, morceau de concert d’une vingtaine de minutes agrémenté d’une dernière révélation sur Celeste par le narrateur, a alors des airs de Faust et Phantom Of The Paradise qui aurait rencontré le Stop Making Sense de Jonathan Demme (à qui le film est dédié). Comme Demme, d’ailleurs, Corbet use des effets possibles du cinéma pour lui donner une forme expressive forte et impressionnante. N’ayant aucunement peur de s’apparenter à de la prétention, il donne ainsi à Vox Lux un spectacle inoubliable, désespéré mais dont les images nous resteront dans la tête pour toujours.
Boudé à sa sortie, tardant même à sortir en France (seulement en vidéo), Vox Lux est une œuvre qui assume de brusquer son audience, à aller jusqu’au bout d’un propos et d’une envie esthétique. C’est un film lucide et triste mais qui mérite qu’on lui donne une chance.