Cannes s’ouvre avec un regard ravageur et ultra-contemporain sur le naufrage tortueux que peut amener la célébrité. Sous la forme d’un opéra-rock au lyrisme sidérant, Annette de Leos Carax est une oeuvre comme rarement on a pu voir au cinéma.
So May We Start ? Une question entêtante, reprise avec entrain dans l’introduction de Annette, le nouveau film de Leos Carax. Une question qui tombe à point nommé pour un long-métrage qui a l’honneur d’ouvrir le nouveau Festival de Cannes. Une interrogation qui invite à ouvrir un été cinématographique explosif au coeur d’une année au climat morose mais surtout une question qui invite à bouleverser ce que l’on imagine déjà du cinéma moderne actuel.
À ce titre, Annette pourrait presque paraître (et il est important d’insister sur “presque”) comme un récit classique dans ce qu’ont imaginé dans les grandes lignes Ron et Russel Mael, l’excentrique duo qui forme le groupe Sparks et a composé cet impressionnant opéra baroque. En effet, le film s’inscrit dans la lignée de longs-métrages qui ont interrogé la notion de célébrités à travers le portrait de figures stellaires déchus ou/et en proie à de sévères traumatismes. Carax succède à la mélancolie nostalgique de Bradley Cooper et l’acidité cruelle de Bradley Corbert pour imposer son regard si singulier sur le monde du spectacle. Et quel regard !
Annette poursuit Holy Motors, précédent film du cinéaste, dans une quête de réfléchir sur la création des images. Son hyper-contemporanéité se traduit par le choix de s’attarder sur différents types de spectacles de plus en plus démocratisés sur les écrans : l’Opéra pour le personnage d’Ann, soprano incarné par Marion Cotillard et le stand-up par un mâle blanc torturé mais surtout dangereux campé par Adam Driver (figure qui ramène évidemment à ce que l’on a appris sur une figure comme Louie C.K mais qui fait penser, dans les performances scéniques, à Bo Burnham ou Eric André). À travers ces deux figures, Annette pourrait être simplement d’un drame bouleversant et lucide sur les affres de la célébrité et la manière dont le public distingue le vrai du faux des performances de nos protagonistes. Mais Carax, accompagnée des chants magnétiques composés par Sparks interprétés par les comédiens, signe au-delà de cette tragédie un hymne à l’imaginaire et à la surprise.
Que ce soit avant d’entrer dans la salle ou après avoir franchi la porte de sortie au bout des deux heures et vingt minutes, il est impossible de voir quelque chose similaire à Annette. Et derrière cette formule galvaudée se cache une euphorie galvanisante à voir une proposition comme celle de Carax. Plus joyeux que misanthrope dans la proposition formelle, l’inverse s’illustrant en revanche dans un scénario d’une noirceur absolue, le réalisateur sidère par des éléments poétiques qui apparaissent comme radicales et pourtant si simples. Ce qui joue avec l’héroïne éponyme du film (sans entrer dans les détails, impossible de se remettre du numéro final) relève d’une imagerie qui ramène au bric-à-brac des films de Carax mais aussi à ceux de Todd Haynes. À ceci près que le film de Carax transforme le Musée des Merveilles en celui des spectres et des démons, où l’innocence se détruit à force de complaisance dans une âme torturée.
Magnifique, Annette fait parti de ces films qui redonne foi à la vitalité créatrice et artistique du cinéma. D’une lucidité déconcertante sur le monde du spectacle, Leos Carax et les Sparks racontent une histoire bouleversante qui sait s’emparer d’une part de notre monde avec bizarrerie, mordant et lyrisme.
Annette. Réalisé par Leos Carax. Avec Adam Driver, Marion Cotillard, Simon Helberg, Devyn McDowell. Durée : 2h20.