On peut le dire : Dernier Train pour Busan fut probablement l’un des premiers longs-métrages qui a redonné au public occidental un goût pour le cinéma sud-coréen, alors réservé à un public plus averti. Après sa sortie en plein été 2016, quatre années sont passées. Les succès internationaux de Mademoiselle et (surtout) de Parasite ont confirmé la tendance et celui qui nous avait fait frémir à bord d’un train infernal, Sang-ho Yeon, revient faire son propre état des lieux face à son oeuvre. Quatre ans plus tard, que ce soit pour son cinéma et l’environnement post-apocalyptique qu’il filme, c’est un drôle de chaos qui nous est présenté dans Peninsula.
Pour les lecteurs mélomanes qui tomberaient sur cet article, vous pourrez reconnaître aisément l’allusion qui est faite dans cette critique. Play Destroy est également le nom d’une chanson qu’interprète deux idoles de la pop connues pour les univers étranges qu’elles façonnent : à savoir Poppy et Grimes. Le morceau fonctionne sur une opposition frontale : des airs ramenant au genre du métal résonnent comme un tonnerre auprès des deux chanteuses. Les guitares s’emparent de tout l’espace sonore et c’est alors que les deux voix s’imposent. Le son devenant plus doux, d’un air que l’on pourrait qualifier d’angélique, elles apportent harmonieusement une touche d’innocence dans le ton alors que ce qu’elles chantent est un hymne à la destruction qui évoque notamment la mutilation. Le tout garni de rires et d’une ironie fantastique. Ce parasitage entre la destruction et l’amusement qui s’y confronte jusqu’à une explosion finale ; c’est exactement ce qui rend cette fausse suite de Dernier Train pour Busan amusante dans son obstination à ne faire qu’une seule chose : jouer alors que le chaos est bien présent.
Ce sentiment d’apocalypse, il était déjà présent avant même que la première page du scénario fut écrite. Comment succéder à un long-métrage qui doit son succès à deux fortes qualités : un récit high-concept qui regorge d’inventivité pour jouer avec son principal lieu d’action (un train) au service d’une charge social qui n’était pas sans rappeler le cinéma de Bong Joon-ho. Face à cette épreuve de la suite, en apparence difficile à surmonter, le cinéaste va alors prendre le choix de dérailler. Quatre ans plus tard, la Corée du Sud est en proie à la désolation. Des survivants vivant à présent à Hong-Kong, dont deux membres d’une famille liée à un drame dû à cette pandémie, doivent alors retourner sur cette terre devenue chaotique pour effectuer une mission dangereuse : récupérer une forte somme d’argent planquée dans un camion pour le compte de truands. Ce n’est pas plus simple que ça. À ce postulat de départ, particulièrement minimaliste, le réalisateur semble partir en total roue libre. Mais refusant de s’avouer vaincu face à l’aura de son premier film, il va alors accepter de perdre en qualité dramaturgique pour gagner en spectaculaire. Abusant alors des effets numériques (parfois cheaps, reconnaissons-le) comme pas permis, on peut facilement faire le parallèle avec l’attitude des protagonistes que nous rencontrons. Car, comme dit plus haut, on s’amuse beaucoup au coeur de la péninsule.
Quand on regarde Peninsula, la trame narrative nous rappelle immédiatement le second volet de la quadrilogie Mad Max, intitulé The Road Warrior. Après un premier volet minimaliste, le second opus se doit alors de devenir plus féroce, plus apocalyptique. On a même le droit à une longue course-poursuite en guise de climax, autour d’un MacGuffin qui fait ressurgir les souvenirs du camion-citerne que Mel Gibson protégeait chez George Miller. Néanmoins, il y a un autre réalisateur auquel on ne pense pas forcément devant ce film qui a des similitudes dans sa manière de s’approprier l’horreur : M. Night Shyamalan.
L’esprit du réalisateur de Sixième Sens et The Visit se diffuse par l’intermédiaire d’une famille de survivants que nous rencontrons en cours de route. Notre héros, alors ravagé par une tragédie qui ouvre le film, se retrouve soudainement sauvé par une énorme voiture blindée. Au volant, deux soeurs enfants qui lui propose de monter. La séquence, alors dramatique au départ (des pertes ont eu lieues), transforme alors l’horreur en une cour de récré gigantesque (et morbide). La musique, plus entraînante, accompagne la désinvolture de ces enfants qui affrontent la situation sans réelle crainte. Séquence qui à elle-seule expose la véritable lettre d’intention du film, elle la creuse encore plus lorsque soudainement, ce n’est plus une véritable voiture qui doit être conduite mais bien un modèle réduit particulièrement bruyant afin de se frayer un chemin au milieu d’une meute de zombies. Peninsula devient non pas un survival qui reprend sans aucune honte les standards les plus usés du blockbuster américain ; il est un espace où l’on peut s’amuser non-stop en prenant un sous-genre usé du cinéma d’horreur, le film de zombies.
Sans être naïf pour autant, cette quête du jeu immédiatement perverti par des soldats mercenaires qui se régalent en faisant affronter des malheureux face à une horde de zombies lâchée sur le terrain, le film devient touchant dans sa manière promptement spectaculaire à rejoindre ce ton Shyamalesque. Comme Tyler qui cachait sa peur (et son probable traumatisme des couches) par le biais de la vanne et du rap dans The Visit ou Joey qui devenait alors une clé pour l’intrigue de La Jeune Fille de l’Eau en lisant simplement des paquets de céréales ; être joueur doit te rendre gagnant de quelque chose. Peninsula l’a bien compris en assumant l’utilisation à outrance de vieux standards. Il se moque des détracteurs comme les protagonistes se moquent à présent des morts-vivants entourant leurs vies ; l’important pour eux maintenant est de divertir les autres et soi-même lors de situations qui pourraient mener à la panique. Divertissant jusqu’au-boutiste, Peninsula est donc une réussite dans sa quête de l’amusement tel qu’il le conçoit.