Un couple de cinéastes se réfugie sur l’île de Farö, habitée auparavant par le cinéaste Ingmar Bergman et cela va lancer la réalisatrice Mia Hansen-Løve dans une ballade planante où fictions et mémoires s’entremêlent chaleureusement.
Bergman Island est un film qui séduira quiconque ayant pour vocation de vivre un quotidien basé sur la fiction. L’île de Farö, lieu servant de pèlerinage aux aficionados des drames d’Ingmar Bergman, va servir de toile à une réflexion vertigineuse sur ce qui lie les histoires à celles et ceux qui les écrivent et/ou les reçoivent.
On y suit Chris (Vicky Krieps) et Tony (Tim Roth), un couple de cinéastes qui séjournent sur l’île. Elle est en doute sur ce qu’elle s’apprête à écrire, il se montre distant et reste focalisé sur sa personne. Et pourtant, ce ne sera pas Scènes de la vie conjugale cinéphile qui se dévoilera sous nos yeux. Il y a tout d’abord une acuité plaisante de la part de Hansen-Løve à évoquer au départ la cinéphilie et plus précisément, l’omniprésence de la masculinité de ce milieu. Ce sont des détails très contemporains qui se dévoilent pour les spectateur.ice.s et le personnage de Chris. On y parle du Mansplaining cinéphile, du sacrement de l’artiste au-delà de son comportement cruel et de l’expression d’un point de vue divergent sur un cinéaste adulé. Cela ne pourrait être qu’à peu près deux heures d’artistes cinéphiles qui discutent (et qui laissent, par conséquent, une partie du public sur le carreau). Mais la magie du cinéma de Hansen-Love oriente sa balade vers un rêve personnel et pourtant si émouvant.
En cours de voyage, le film se rejoue devant nous à un détail près mais qui a son importance : l’histoire est racontée par Chris, alors prise d’inspiration pour son nouveau projet et qui le raconte à Tony. On y suit une romance, où plutôt sa fin, avec une héroïne cinéaste jouée par Mia Wasikowska et son ex-amant joué par Anders Danielsen Lie. La balade intime que menait Chris, jouée par la remarquable Vicky Krieps, nous reposait de cette Dans ces moments, la fiction qui s’invente nous emporte. Le film joue avec inventivité sur la manière dont la fiction peut prendre le pas sur le réel. L’île de Farö ne se laisse plus écraser par la religiosité laissée par le spectre de Bergman, et l’austérité de ses films, elle se laisse célébrer par des mariages, les sons de Lee Hazlewood & Nancy Sinatra et de danses à l’écoute de ABBA (scène de danse déchirante par Mia Wasikowska). Les personnages des films de Mia Hansen-Love sont souvent des individus qui cherchent à se réinventer. Et jusqu’à la toute fin de sa dernière partie, un épilogue où se confondent fluidement fiction et réalité, Bergman Island est donc un film qui révèle la fiction et l’acte d’écriture comme un acte d’émancipation.
Succédant à Annette dans la Compétition Cannoise, Bergman Island rejoint le film de Leos Carax dans sa quête d’explorer la fiction et ses problématiques contemporaines. Mais plutôt que de partir vers la tragédie, Mia Hansen-Løve opte pour un récit ensoleillé et sensible qui nous touche en plein coeur.
Bergman Island. Un film de Mia Hansen-Løve. Avec Vicky Krieps, Tim Roth, Anders Danielsen Lie et Mia Wasikowska. Durée : 1h53.