Depuis Sundance 2020, le premier long-métrage de Emerald Fennell fait parler de lui partout où il passe. Promising Young Woman, thriller grinçant qui subvertit le genre du rape and revenge, sort sur nos écrans après avoir remporté l’Oscar du Meilleur Scénario. Un film qui n’a pas peur de dire frontalement les choses, quitte à se montrer parfois maladroit dans sa démarche.
En quelques minutes, Emerald Fennell impose sa note d’intention en pleine face des spectateurs. Pastiche des codes du Male Gaze, regard-caméra complice de son anti-héroïne, musique pop d’une rom-com célèbre modifiée ; Promising Young Woman a la ferme intention d’envoyer valser les conventions d’un cinéma populaire pour en tirer quelque chose d’autre.
Ce qu’elle envoie valser, c’est le genre du rape and revenge. Sous-genre du cinéma d’horreur, généralement modelé à travers un oeil masculin, qui fait subir à son héroïne les pires horreurs pour qu’elle puisse aboutir à une vengeance particulièrement violente à ses bourreaux. Un genre cru, rude et souvent complaisant que l’on a vu de l’oeil d’auteurs comme Wes Craven, Abel Ferrara, Paul Verhoeven ou David Fincher. Emerald Fennell, quant à elle, souhaite alors retirer toute la glamourisation de ce genre par ces regards masculins pour en faire quelque chose de tout autre.
Car Promising Young Woman est une oeuvre qui a pleinement conscience de ce qu’elle est : un film mainstream destiné à sensibiliser un large public sur des sujets difficiles mais toujours, hélas, d’actualité. Le film nous fait suivre le parcours de Cassie, ancienne étudiante en école de médecine qui a tout abandonné suite au viol et suicide de sa meilleure amie, et le silence qui a régné autour de ce crime. Chaque semaine, elle se fait passer pour une femme soule pour malmener les hommes qui souhaitent alors profiter de son ivresse en tant que nice guy. Un quotidien qui sera alors poursuivi d’une quête vengeresse pour sa meilleure amie, suite à de troublantes retrouvailles avec son passé.
S’en suit alors un film qui confronte frontalement, par une narration chapitrée par les étapes du plan exécuté par Cassandra, les personnages (et le public) par la même occasion aux comportements prononcés face à un tel crime. Chaque personnage remplit donc la fonction de représenter un agissement néfaste, à base d’aveuglement dérisoire et d’impunité. En cela, le film rappelle une autre subversion du rape and revenge sortie il y a trois ans : Three Billboards – Les Panneaux de la vengeance. Comme dans le film de Martin McDonagh, Promising Young Woman y va franchement pour grossir les traits de ces personnages et faire en sorte que le film ait fait passer son message. À noter par ailleurs que le film, dans sa conscience presque meta, bénéficie d’un casting extraordinaire qui reprenant des comédiens réputés pour leurs rôles de sitcoms ou romcoms où leurs agissements toxiques dans ces fictions sont décuplés ici à un important degré de malfaisance (les fans de New Girl ou de Newport Beach risquent d’être choqués…). Mais comme Three Billboards, cette démonstration peu subtile contient aussi son lot de maladresses pour une histoire aussi tragique.
Si le film nous met évidemment en empathie avec Cassandre et son amie Nina, difficile de concevoir en revanche les contresens collatéraux créés par les agissements de son héroïsme. Notamment face à une ancienne camarade de classe, incarnée par Allison Brie. De même que la résolution de l’intrigue dans ses dernières minutes, prouve un déséquilibre parfois hasardeux sur le ton employé par le film, entre comédie et tragédie, qui pourrait être presque considérer comme du mépris pour son personnage principal. Comme si le film ne savait plus réellement sur quel pied danser face à ce qu’il racontait à la base. Ceci afin de ne pas respecter les conventions du genre qu’elle souhaite subvertir, bien entendu, mais il y a de quoi s’interroger quand cela prend place sur l’histoire et non la formalisation du genre en lui-même. Le film paraît alors plus conventionnel que ce qu’il prétendait, rejoignant alors la tendance d’un cinéma populaire qui ne cesse de manier les ruptures comme dans Get Out et Us de Jordan Peele. De légères maladresses qui n’empêchent pas, en revanche, d’être sidéré par la capacité de Fennell à nous impliquer directement dans l’intrigue, allant jusqu’à nous faire frémir lors de certains passages.
Si Promising Young Woman retombe sur une note plus conventionnelle sur sa fin, il réussit pourtant à user de son esthétique pop scintillante pour confronter le public à une réalité amplement plus sombre. Un thriller tragique rudement efficace.
Promising Young Woman. Réalisé par Emerald Fennell. Avec Carey Mulligan, Bo Burnham, Allison Brie. Durée : 1h48.