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I Care a Lot : la critique du film

Hollywood suivrait-il une fâcheuse tendance à idolâtrer et lisser, les monstres qu’il prétend dénoncer ? Après le succès de Joker, et en attendant Cruella, c’est un film sorti sur Netflix qui interpelle sur ce sujet. I Care A Lot, réalisé par J Blakeson, met face-à-face Rosamund Pike et Peter Dinklage dans un concours du plus irrécupérable. L’une force les personnes âgées à vivre en EHPAD pour récupérer légalement leurs biens en tant que tutrice désignée, l’autre est un mafieux russe dont la mère se retrouve enfermée en pension par la première. Une tentative ratée de comédie cynique où l’humour et la morale grincent.

Amazing Marla

Dans le nouveau film du réalisateur de La Cinquième Vague, Rosamund Pike propose une variation du rôle qui l’a propulsée en haut de l’affiche en 2014 : celui d’Amy Dunne, sommet de machiavélisme vengeresse issue de l’imagination de Gillian Flynn et David Fincher dans Gone Girl. Figure majeure du cinéma américain des années 2010, ce personnage s’impose parmi les figures de la pop-culture les plus commentées de ces dernières années, multipliant les points-de-vues les plus polarisants à son égard. La duplication de ses apparences, passant d’égérie pour livres pour enfants à cool girl, pour finir femme victime auprès des médias et bourreau auprès d’hommes malveillants, dépasse alors le cadre de l’écran en constatant le nombre de commentaires qu’elle suscite encore aujourd’hui. Il est fort probable que Amy aurait détesté I Care a Lot, film qui n’a seulement compris une version unilatérale du personnage qu’il tente de s’approprier pour la transformer en la personne qu’elle abhorrait chez Flynn et Fincher : la Amazing Amy.

Amazing Amy ou Amazing Marla, plutôt. Cette figure lisse, idéalisée et toute droit sortie de l’imaginaire et non de la réalité. Amy Dunne est devenue une marque de fabrique pour les cinéastes, rendant prisonnière Rosamund Pike du grand rôle qu’elle a joué. Car Marla Grayson n’est pas un être humain, c’est un avatar hybride des figures monstrueuses du cinéma américain. 50 % d’ Amy Dunne, pour le côté girl power machiavélique, et 50 % de Gordon Gecko pour l’ogre féroce et capitaliste que le personnage reprend de Michael Douglas. Ce personnage irrécupérable enferme la vie de vieillard-e-s pour tirer toutes leurs ressources financières. Dès le départ, sans aucune mention de background (à part l’évocation de sa mère, désignée alors comme une sociopathe), ce personnage robotique et cruel ne nous présente aucune sympathie. Et pourtant, la boussole morale de l’intrigue ne va guère aller à son encontre, loin de là.

Règlements de comptes à O.K Morale

Faisant l’erreur d’envoyer la mère d’un mafieux russe (incarné par Peter Dinklage, chercher la logique) en EHPAD, Marla va se retrouver pourchassée par des criminels tout aussi irrécupérables (voire plus) qu’elle. C’est alors qu’en présentant des antagonistes manipulateurs et sans pitié (sans compter Diane West, mère victime au départ qui va prendre plaisir à voir son bourreau tourmenté), le film brouille les pistes et n’est pas sûr que l’ambiguïté soit en cause compte tenu de la tournure pop du film. Comme si le récit devait impérativement conserver une boussole morale standard, il décide de la faire marcher à la direction du personnage de Marla. I Care A Lot peine dans sa subversion en raison d’une iconisation trop appuyée de son personnage. Marla est la star du film. C’est celle qui prend les commandes à n’importe quel instant, c’est elle qui ne se remet jamais en cause et cela même si sa compagne est malmenée par des truands.

Contrairement à un film comme Uncut Gems, fonctionnant sur le même principe narratif mais qui brillait dans sa mise-en-scène à dépeindre la spirale tourbillonnante dans laquelle son personnage médiocre s’enfonçait, et sans jamais l’idéaliser, I Care A Lot ne sait pas interpeller sur ce qu’il raconte. Plus prota qu’antagoniste, Marla devient l’héroïne triomphante face à la menace qu’elle a engendrée par ses propres actions. Une menace qui ne s’incarne que sous les traits d’une comédie de gangsters lourdingue, que n’aurait pas renié Guy Ritchie ou Matthew Vaughn. Et si la malheureuse et malvenue séquence finale tend à mettre fin à cette fascination morbide, le mal est déjà fait et ne sera pas effacé par une scène choc expédiée à toute vitesse. Il y a un problème de traitement. L’adaptation de la caméra à la teneur morale du récit ne va pas, ce qui est surtout représentatif d’un nouveau cinéma mainstream qui fait de l’abject le nouveau cool des histoires populaires. C’était l’histoire du Joker, rendu martyr par Todd Phillips en 2019 de manière très irresponsable. Ce sera peut-être le cas de Cruella Denfer, incarné par Emma Stone pour Disney. Ça l’est d’une certaine manière pour Deadpool et Venom. Et ça l’est aussi pour cette héroïne malgré elle, définitivement des temps modernes.

I Care A Lot condense le cinéma que l’on voit actuellement : du cinéma pour plate-forme lisse et sans point de vue concret, qui surfe sur la tendance des vilains pour faire des vues. Un film qui ne rend pas service à ses interprètes et au sujet qu’il aborde. Un film qui résonne à propos de son sujet : I care a little.

I Care a Lot, réalisé par J Blakeson, avec Rosamund Pike, Diane West et Peter Dinklage. Disponible sur Netflix. Durée : 1h59.

Author

Victor Van De Kadsye

Victor Van De Kadsye

Créateur du site. Je ne vis que pour des artistes comme Michael Mann, Clint Eastwood, Hou Hsiao-hsien ou bien Kelly Reichardt. Capable de réciter n'importe quel réplique de l'âge d'or des "Simpson".

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