Une nuit, dans une somptueuse demeure louée par la production, un couple d’artistes s’affronte. Lui est réalisateur et souhaite célébrer la première de son long-métrage. Elle, s’interroge sur la reconnaissance de son compagnon envers son implication dans son travail artistique. Durant 1h45, Sam Levinson règle ses comptes avec le cinéma et crée une bulle à l’image du couple qui l’habite : instable. Bousculant par les questions qu’il impose à son duo et aux spectateur-rice-s, le second long-métrage de Sam Levinson est une cacophonie aussi pertinente qu’agaçante dans ce qu’il prétend déclarer du cinéma, de sa création et de sa réception.
Est-ce que Sam Levinson lit beaucoup les critiques de ses créations quitte à les prendre trop à coeur ? C’est une question que n’importe qui ayant connaissance de l’œuvre du cinéaste, ainsi que des critiques posées par la presse spécialisée et les spectateur-rice-s sur les réseaux sociaux, va se poser devant Malcolm & Marie. Car tout va partir de cela : la critique d’un film. Comme annoncé, l’action de ce huis-clos conjugal se situe à l’issue d’une avant-première du film réalisé par Malcolm (John David Washington), l’un de nos deux protagonistes. Celui-ci revient enthousiaste de sa projection. Son film, qui raconte le chemin de croix d’une ancienne toxicomane, a scotché le public et semble avoir ravi les critiques. Malgré tout, le commentaire d’une journaliste, une comparaison douteuse selon lui et sous-entendant un à-priori raciste, va être l’élément déclencheur du film. Car non seulement, cela va enclencher le discours énervé de Levinson à l’égard du métier de critique mais surtout va ouvrir l’opposition qui se fera entre ce réalisateur et sa compagne Marie, l’actrice, incarnée par Zendaya.
Et ce n’est pas quelque chose d’anodin de voir ces deux éléments s’enclencher au même moment. La dispute qui va durer pendant la quasi-intégralité du film n’est pas tant celle sur un couple romantique. On peut même s’interroger sur celles et ceux qui verraient une once de romantisme dans la relation pleinement toxique qu’entretiennent les deux personnages. Deux choses vont intéresser Levinson, qui va alors créer un nœud entre ces éléments pour nourrir la dispute : le regard d’un critique à l’égard d’une œuvre, et non de l’artiste, et la considération de l’artiste envers les personnes dont il s’inspire. On le devine rapidement mais l’histoire qu’a raconté Malcolm est inspirée de la vie de Marie. Celle-ci s’interroge à juste titre sur la considération que son amant cinéaste a eu d’elle durant la production du film. Interrogation qui sera accentuée par la réception critique du film, perplexe sur le fait qu’un homme réalisateur filme avec son regard la souffrance d’une femme toxicomane. Un reproche qui n’est pas sans rappeler celui fait envers le réalisateur de Malcolm & Marie.
Car Sam Levinson, un homme blanc issu d’un système hollywoodien népotique (son père étant Barry Levinson, réalisateur de Rain Man notamment), a fait l’objet de vives critiques concernant les oeuvres qui ont fait son succès. On lui reproche notamment de se complaire dans la détresse d’individus victimes d’oppressions systémiques, de faire du mansplaining, voire de s’approprier des sujets tels que la transidentité et le féminisme. Un reproche que l’on a moins fait à sa série Euphoria mais plus sur son film Assassination Nation, qui revisitait l’histoire des sorcières de Salem à la sauce 2.0. Des critiques non digérées, traduites à l’écran par un monologue interminable sur le refus de voir une œuvre traitée à l’égard de l’identité du cinéaste, se comparant alors à Billy Wilder ou Barry Jenkins. Un phénomène dont Levinson semble même prendre le parti de le reprocher aux critiques américaines (dont une journaliste du L.A Times qui a véritablement écrit une mauvaise critique de Assassination Nation), à plusieurs reprises.
Il y a un arrière-goût amer de ces remarques évoquées perpétuellement. D’autant plus amer que cela irrite les qualités de son film. Ce ping-pong verbal rend le visionnage stimulant par l’abondance d’idées qu’apporte le film. Malgré le fait qu’un camp (celui de Malcolm) tend à écraser l’autre (celui de Marie) sur la question de l’identité à l’écran (ce qui provoque quelques grincements de dents), le film a le mérite d’aborder d’autres questions toutes aussi importantes. Et apporte même un contrepoint pertinent par le personnage de Marie, ne supportant plus de voir l’égocentrisme de son partenaire exposé au grand jour lors de cette dispute. Par le biais du name-dropping et l’expression très claire des enjeux par l’intermédiaire des dialogues, Malcolm & Marie est une bulle contemporaine suffisamment ancrée dans notre époque pour y voir son intérêt. Le film égratigne le manque de considération que peuvent avoir les artistes envers les sujets, les personnes, qu’ils façonnent à l’image. Aidé par la masterclass de la comédienne Zendaya, le film offre des moments de grâce en faisant retomber de son piédestal un cinéaste qui n’a de considération que pour lui-même. Ce qui donne alors un film purement chaotique dans le propos, où remise en question et égocentrisme démesuré ne font qu’un pour souffler une bulle étonnante.
Malcolm & Marie est un drôle de film. Aussi stimulant qu’énervant dans sa manière d’aborder des questions contemporaines importantes, qui peut vite relever du “Moi, Je”. Saluons tout de même, avant de conclure, le talent phénoménal et indéniable de ses deux interprètes : Zendaya et John David Washington.
Malcolm and Marie de Sam Levinson, avec Zendaya et John David Washington. Durée : 1h46. Disponible sur Netflix.